Memento Généalogie
Maurice Seligmann, destin d'un poilu ordinaire (1882-1915)
Aujourd'hui, en ce 11 novembre 2020, jour anniversaire de l'Armistice de 1918, j'ai envie de vous parler du "poilu" le plus proche de moi dans mon arbre généalogique : mon arrière-grand-père, Maurice Seligmann.
Maurice naît à Lyon 3e arrondissement le 21 mai 1882. Son père, originaire du Bas-Rhin, est employé de commerce. Sa mère est née à Lyon, mais sa famille est originaire de Moselle.

« Le vingt-trois mai mil huit cent quatre vingt deux à trois heures trois quarts du soir, par devant nous maire de Lyon, Chevalier de la Légion d’honneur, est comparu Mr SELIGMANN Achille, employé, demeurant à Lyon, cours de Brosses 47, âgé de trente un ans, qui nous a présenté un enfant du sexe masculin vivant né dans son domicile avant-hier soir à trois heures, de lui comparant et de Jeanne Levy son épouse, sans profession, âgée de vingt deux ans, et auquel enfant on a donné le prénom de Maurice. Présents sont Levy Jacob, négociant demeurant à Lyon avenue de Saxe 131 âgé de trente trois ans, cousin à l’enfant, et Levy Moyse, négociant demeurant même avenue 243, âgé de vingt huit ans cousin à l’enfant lesquels et le père ont signé avec nous après lecture. »
En 1899, il obtient son baccalauréat avec la mention lettres et philosophie à la faculté de Lyon. Il a alors seulement 17 ans.
Maurice épouse en 1910 Madeleine Biltz, née à Lyon en 1891, mais dont les parents sont originaires du Bas-Rhin et de Meurthe-et-Moselle. Maurice et Madeleine se marient civilement à la mairie du 16e arrondissement de Paris, le 27 mai, puis religieusement à la synagogue de la rue de la Victoire à Paris le 29 mai.

Menu servi lors du mariage civil de Maurice et Madeleine, le 27 mai 1910
Le couple s’installe à Lyon, dans le 3e arrondissement, au 20 rue de Bonnel. Leur fils Paul y voit le jour le 28 février 1914, quelques mois avant que la Première guerre mondiale éclate.
Jeune homme en bonne santé, ayant fait son service militaire moins de dix ans auparavant, Maurice fait partie des premiers appelés lorsque l’ordre de mobilisation générale est donné le 1er août 1914. Il est incorporé au 36e régiment d’infanterie coloniale avec le grade de sergent sous le matricule 03106. L’ «Etat général des services et campagnes» le concernant permet de retracer son parcours pendant la guerre.

Etat général des services et campagnes de Maurice Seligmann
Pendant la durée de sa mobilisation, deux permissions de vingt-quatre heures pour rendre visite à sa famille lui sont accordées, le 21 novembre 1914, et le 6 février 1915 :


Bulletins de permission du sergent Maurice Seligmann
L’ «Historique du 36e régiment d’infanterie coloniale» publié par Emile-Alexis Mazillier en 1920 retrace le parcours de cette unité. On peut notamment y lire le récit suivant :
« Le 6 octobre [1915], l’attaque est lancée à 7 heures. Les trois vagues d’assaut sont fauchées par les mitrailleuses dont le feu est infernal. A 8 heures, l’ordre arrive de réussir coûte que coûte. Mais l’attaque est remise en raison des pertes trop lourdes. L’élan, la bravoure et l’ardeur déployés par tous ont été remarquables mais, dans ces journées, le sort de la guerre est défavorable au régiment qui subit des pertes cruelles. »

Carte postale représentant le village de Sommepy transformé en champ de batailles, 1915
Maurice fait partie des pertes : il est tué à l’ennemi, mort pour la France, le 6 octobre 1915 sur la commune actuelle de Sommepy-Tahure, dans le département de la Marne.

Fiche de «Mort pour la France» de Maurice SELIGMANN
Une correspondance échangée entre deux de ses camarades de régiment nous renseigne très précisément sur les circonstances de son décès :

« 25/10/15
Mon cher Michallet, Bien reçu hier soir ta carte du 19 au moment où nous quittons Verrières pour remonter aux avant-postes (bois d’Hauzy) d’où je t’écris en ce moment. Grivelet me dit t’avoir donné tous les renseignements sur la mort de Séligman. Il est mort certainement. Il a été tué d’une balle au ventre au moment où il essayait de revenir en arrière pour se mettre à l’abri dans le trou où nous étions avec le capitaine – il a été tué juste devant le trou à côté du capitaine, et il y est resté naturellement à moins qu’il n’ait été ramassé depuis, ce que je ne crois pas car c’est juste devant le réseau.
Bien à toi, Revoy ».
Comme ce camarade, dont on ne connaît pas le nom, le présumait, il n’existe pas de sépulture connue pour Maurice. A la demande de la famille, une enquête sera menée (ou prétendument menée) à ce sujet, juste après le décès. La réponse arrive le 7 décembre 1915 : « n’ayant pas été inhumé par les soins du Régiment, il ne nous est pas possible de vous indiquer le lieu d’inhumation ».
Peut-être fait-il partie des 704 soldats non identifiés qui ont été inhumés dans l’ossuaire de la Nécropole nationale de Sommepy, aménagée entre 1920 et 1924.

Nécropole militaire de Sommepy (Marne)
En revanche, le nom de Maurice figure sur le monument aux morts de l’Ile du Souvenir, sur le lac du Parc de la Tête d’Or, avec ceux de tous les Lyonnais tués pendant le conflit :

Monument aux morts de l’Ile du Souvenir, Parc de la Tête-d’Or, Lyon
Le sergent Maurice Seligmann sera ensuite cité à l’Ordre général de l’Armée, le 21 octobre 1915. Il y est désigné avec le grade de sous-lieutenant, mais cette promotion n’apparaît pas sur sa fiche matricule, ni par la suite dans les documents concernant la pension attribuée à sa veuve, dans lesquels il est toujours désigné comme sergent. Il s’agit donc vraisemblablement d’une erreur.

Cette citation lui ouvre droit à la Croix de guerre avec palme de bronze, qui lui est décernée à titre posthume le 18 janvier 1916.
Le 6 juillet 1916, une lettre du Ministère de la Guerre informe la veuve que « le dossier la concernant est parvenu au Service Général des Pensions, et qu’il va être procédé à l’examen de ses droits à pension ». Le décret lui accordant la pension viagère de veuve de militaire n’est signé que le 12 octobre 1916, mais avec rétroactivité au 7 octobre 1915, le lendemain du décès de Maurice. Le montant de la pension dépendait du grade du militaire décédé : dans le cas d’un sergent, il était de 825 francs.
La jeune veuve de Maurice se remarie peu après la fin de la guerre, le 6 juin 1919.
Son fils Paul, devenu orphelin, obtiendra le statut de Pupille de la Nation. Plus tard, il prendra part aux combats de 1939-1940 et obtiendra lui aussi la Croix de guerre, avant d'être happé par d'autres évènements de l'Histoire. Mais son parcours à lui sera l'objet d'un autre article...